The Dying Earth (1950)
Traduction du titre : La Terre Mourante.
Sorti aux USA en 1950 chez Hillman Periodicals, Inc. US.
Traduit en français le 21 mai 1978 par France-Marie Watkins pour J’ai Lu ;
Réédité en avril 1984, janvier 1989, décembre 1992, avril 2003 ;
Réédité en omnibus en octobre 2010 chez PYGMALION.
Traduction de France-Marie Watkins révisée par Sébastien Guillot, chez MNEMOS le 12 novembre 2021.
De Jack Vance.
Pour adultes et adolescents.
(Fantasy post-apocalyptique, monstre, sorcier) Le sorcier Turjan n’arrive pas à créer des créatures vivantes sinon pitoyables. Il cherche alors à trouver un sorcier dont la réputation lui garantira le succès, mais il y aura un prix à payer pour son apprentissage.
*
Le texte original de Jack Vance.
1. TURJAN OF MIIR
TURJAN SAT in his workroom, legs sprawled out from the stool, back against and elbows on the bench. Across the room was a cage; into this Turjan gazed with rueful vexation. The creature in the cage returned the scrutiny with emotions beyond conjecture.
It was a thing to arouse pity—a great head on a small spindly body, with weak rheumy eyes and a flabby button of a nose. The mouth hung slackly wet, the skin glistened waxy pink. In spite of its manifest imperfection, it was to date the most successful product of Turjan's vats.
Turjan stood up, found a bowl of pap. With a long-handled spoon he held food to the creature's mouth. But the mouth refused the spoon and mush trickled down the glazed skin to fall on the rickety frame.
Turjan put down the bowl, stood back and slowly returned to his stool. For a week now it had refused to eat. Did the idiotic visage conceal perception, a will to extinction? As Turjan watched, the white-blue eyes closed, the great head slumped and bumped to the floor of the cage. The limbs relaxed: the creature was dead.
Turjan sighed and left the room. He mounted winding stone stairs and at last came out on the roof of his castle Miir, high above the river Derna. In the west the sun hung close to old earth; ruby shafts, heavy and rich as wine, slanted past the gnarled boles of the archaic forest to lay on the turfed forest floor. The sun sank in accordance with the old ritual; latter-day night fell across the forest, a soft, warm darkness came swiftly, and Turjan stood pondering the death of his latest creature.
He considered its many precursors: the thing all eyes, the boneless creature with the pulsing surface of its brain exposed, the beautiful female body whose intestines trailed out into the nutrient solution like seeking fibrils, the inverted inside-out creatures . . . Turjan sighed bleakly. His methods were at fault; a fundamental element was, lacking from his synthesis, a matrix ordering the components of the pattern.
As he sat gazing across the darkening land, memory took Turjan to a night of years before, when the Sage had stood beside him.
"In ages gone," the Sage had said, his eyes fixed on a low star, "a thousand spells were known to sorcery and the wizards effected their wills. Today, as Earth dies, a hundred spells remain to man's knowledge, and these have come to us through the ancient books ... But there is one called Pandelume, who knows all the spells, all the incantations, cantraps, runes, and thaumaturgies that have ever wrenched and molded space .. ." He had fallen silent, lost in his thoughts.
"Where is this Pandelume?" Turjan had asked presently.
"He dwells in the land of Embelyon," the Sage had replied, "but where this land lies, no one knows."
"How does one find Pandelume, then?"
The Sage had smiled faintly. "If it were ever necessary, a spell exists to take one there."
Both had been silent a moment; then the Sage had spoken, staring out over the forest.
"One may ask anything of Pandelume, and Pandelume will answer—provided that the seeker performs the service Pandelume requires. And Pandelume drives a hard bargain."
*
Traduction au plus proche
1. Turjan de Miir
TURJAN s’assit dans son atelier, les jambes écartées depuis le tabouret, le dos contre et les coudes sur l’établi. De l'autre côté de la pièce, il y avait une cage. Dans celle-ci, Turjan regardait avec une irritation coupable. La créature dans la cage lui rendit son regard avec des émotions au-delà de la conjoncture .
C’était une chose qui provoquait la pitié — une grosse tête sur un petit corps maigre, avec des yeux faibles et chassieux et un bouton flasque en guise de nez. La bouche pendouillait, baveuse, la peau luisait d'un rose cireux. En dépit de son imperfection manifeste, c'était à ce jour le produit le plus abouti des cuves de Turjan.
Turjan se leva, trouva un bol de papaye. Avec une cuillère à long manche, il tint la nourriture à la hauteur de la bouche de la créature. Mais la bouche refusa la cuillère et la bouillie coula le long de la peau vitreuse pour dégoutter sur le cadre branlant.
Turjan reposa le bol, recula et retourna à pas lents à son tabouret. Cela faisait une semaine que la chose refusait de manger. Ce visage idiot cachait-il un entendement, une volonté d'extinction ? Comme Turjan regardait, les yeux bleu-blanc se refermèrent, la grosse tête s’affaissa et heurta le fond de la cage. Les membres se détendirent : la créature était morte.
Turjan soupira et quitta la pièce. Il monta des escaliers de pierre en colimaçon et sortit enfin sur le toit de son château Miir, très au-dessus de la rivière Derna. À l'ouest, le soleil flottait tout proche de la vieille terre ; des rayons de rubis, lourds et riches comme le vin, filtraient entre les troncs noueux de la forêt archaïque pour raser le sol à l’herbe courte. Le soleil sombra selon l'ancien rituel, la nuit de la fin des temps tomba sur la forêt, une obscurité douce et chaude s’abattit rapidement, et Turjan resta là à méditer sur la mort de sa dernière créature.
Il songea à ses nombreuses devancières : la chose qui n'avait que des yeux, la créature sans os dont la surface pulsante du cerveau était exposée, le merveilleux corps féminin dont les intestins dardaient pour plonger dans la solution nutritive comme des fibrilles en quête, les créatures retournées, l’intérieur à l’extérieur . . . Turjan soupira sombrement. Ses méthodes étaient en cause ; un élément fondamental manquait à ses synthèses, une matrice qui ordonnerait correctement les composantes du modèle.
Alors qu'il restait assis à contempler le paysage qui s'assombrissait, les souvenirs de Turjan le ramenèrent à une nuit d’il y avait des années auparavant, lorsque le Sage se tenait alors à ses côtés.
« Aux âges disparus, avait dit le Sage, les yeux fixés sur une étoile basse sur l’horizon, un millier de sortilèges étaient connus de la sorcellerie et les sorciers exauçaient le moindre de leurs vœux. Aujourd'hui, alors que la Terre se meurt, une centaine de sortilèges sont encore connus des humains, et ceux-ci nous sont parvenus par l’entremise de livres très anciens... Mais celui nommé Pandelume, qui connaît tous les sortilèges, toutes les incantations, toutes les tours, toutes les runes et toutes les thaumaturgies qui aient jamais déchiré et remodelé l'espace... » Il s'était tu, perdu dans ses pensées.
« Où est ce Pandelume ?" Turjan avait à ce point demandé.
— Il réside dans le pays d'Embelyon, avait répondu le Sage, mais où se trouve ce pays, personne ne le sait.
— Comment trouve-t-on Pandelume, alors ? »
Le Sage avait souri du bout des lèvres. « Si jamais cela s'avérait nécessaire, un sortilège existe pour transporter quelqu’un là-bas. »
Tous les deux restèrent un temps silencieux, puis le Sage avait de nouveau parlé regardant au loin par-dessus la forêt.
« On peut demander n'importe quoi à Pandelume, et Pandelume répondra — à supposer que le demandeur accomplissent le service que Pandelume exige. Et Pandelume ne lâche rien. »
*
La traduction française de France-Marie Watkin de 1978 pour J’ai Lu.
TURJAN DE MIIR
Turjan était assis sur un tabouret dans son atelier, le dos et les coudes appuyés contre l’établi, les jambes allongées devant lui. Au fond de la pièce il y avait une cage, que Turjan contemplait avec irritation. La créature dans la cage lui rendait son regard avec une émotion dépassant l’entendement.
C’était une chose éveillant la pitié, une énorme tête sur un petit corps malingre, avec des yeux myopes et chassieux et un petit bouton de nez mou. La bouche aussi était molle, humide, la peau d’un rose luisant. Malgré son imperfection évidente, c’était à ce jour le produit le plus réussi des cuves de Turjan.
Turjan se leva, trouva un bol de bouillie. Avec une cuiller à long manche, il approcha de la nourriture de la bouche de la créature. Mais la bouche refusa la cuillerée, et la bouillie coula sur la peau vitreuse pour tomber sur la charpente rachitique.
Turjan posa le bol et retourna lentement vers son tabouret. Depuis une semaine déjà, la chose refusait de manger. Est-ce que ce visage idiot dissimulait une intention, une volonté de disparaître ? Sous le regard de Turjan, les yeux blanc-bleu se fermèrent, la lourde tête s’affaissa et tomba sur le sol de la cage. Les membres se détendirent ; la créature était morte.
Turjan soupira et sortit de la pièce. Par l’escalier de pierre en colimaçon, il grimpa sur le toit de son château de Miir, dominant de très haut le fleuve Derna. A l’ouest, le soleil planait tout près de la vieille terre, des rais de rubis, lourds et chauds comme du vin, tombaient en biais entre les tronc rabougris de la forêt archaïque pour s’étendre sur l’humus. Le soleil se couchait selon le rite millénaire ; la nuit des temps modernes tomba sur la forêt, une douce et tiède obscurité s’étendit rapidement, et Turjan songea à la mort de sa dernière créature.
Il se rappela ses nombreux précurseurs : la chose qui n’était qu’yeux, la créature sans os avec la surface palpitante de son cerveau dénudée, le merveilleux corps féminin dont les intestins sortaient et se tordaient comme des vrilles, dans la solution nutritive, les créatures inversées, retournées comme des gantas… Turjan poussa un profond soupir. Ses méthodes étaient défectueuses ; il manquait à sa synthèse un élément fondamental, une matrice ordonnant les composants du schéma.
Alors qu’il contemplait le paysage obscurci, sa mémoire l’entraîna vers une autre nuit, vers des années passées, quand le Sage s’était trouvé auprès de lui.
— Dans les temps enfuis, avait dit le Sage, le regard rivé sur une étoile à l’horizon, la sorcellerie connaissait mille charmes, et les sorciers accomplissaient leurs volontés. Aujourd’hui, alors que la Terre se meurt, il reste cent charmes dans la science des hommes, qui nous ont été transmis par les livres anciens… Mais il en est un, appelé Pandelume, qui connaît tous les sorts, toutes les incantations, les sortilèges, les runes et les thaumaturgies qui ont jamais forgé et modelé l’espace…
Il s’était tu, perdu dans ses pensées.
— Où est ce Pandelume ? avait enfin demandé Turjan.
— Il habite le pays d’Embelyon, mais où se trouve cette terre, nul ne le sar.
— Comment trouve-t-on Pandelume, alors ?
Le Sage avait souri tristement.
— Si cela devient nécessaire, un charme existe pour s’y transporter.
Tous deux avaient gardé le silence un moment, et puis le Sage avait parlé, en contemplant la forêt. On peut demander n’importe quoi à Pandelume et Pandelume répondra... à condition que le chercheur accomplisse ce que désire Pandelume. Et Pandelume marchande âprement.
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Ici la page du forum Philippe-Ebly.fr consacrée à ce recueil de nouvelles.
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