Sapristi #29 (1994)
Présumé sorti en France le 1er octobre 1994 en kiosque, tiré à 4000 exemplaire.
De Alain Ledoux (rédacteur en chef et directeur de publication), avec O. Maltret, Stephan, J-P. Surest.
Pour adultes.
(magazine trimestriel sur la bande-dessinée) Luxueusement imprimé, abondamment illustré en particulier des dessins de l'interviewé, ou de grandes photos (noir et blanc) sur papier glacé moins attrayantes, le dossier Bilal occupe pas loin de 70 pages sur 88. Les réponses de Bilal sont toujours intéressantes et claires, les questions le semblent moins. Mon impression est que l'interview original a été largement redécoupé et possiblement coupé et que les questions ont été réécrites après coup. Le résultat final est un collector qui vaut largement son prix d'achat, même si je ne suis pas un spécialiste. Cela dit l'approche rédactionnelle privilégie clairement la forme sur le fond, donc la création, ce qui laisse sur sa faim et une vague impression de piège à clics, ou de contenus pour site web généré seulement pour détourner du flux de recherches d'internautes. Mais ce n'est pas un magazine jetable, et j'espère bien que les références et pistes au moins concernant Bilal vaudront la peine d'être suivies.
p.3 Edito : Alain Ledoux se félicite de l'extension de la diffusion de Sapristi à une centaine de points de vente, mentionnant que le numéro spécial Enki Bilal n'aura pas les rubriques habituels, excepté Dernières nouvelles du front consacré à l'actualité.
p.4 : présentation de l'interview d'Enki Bilal : "Paris, mai et juillet 1994, 1er arrondissement... correspondance spéciale Enki Bilal... Transmission par Scriptwalker... Né le 7 octobre 1951 à Belgrade, en ex-Yougoslavie, d'une mère tchèque et d'un père bosniaque, il passe les dix premières années de sa vie à Belgrade..."
p.5 ! Enki Bilal en six chapitres : (NDR : cf. encadré p.43, "interviews réalisés en mai et juillet 1994 à Paris par O. Maltret et A. Ledoux.)
p.7 : Bilal intime :
Souvenirs, souvenirs.
Sapristi : Tu puises tes sources d'inspiration dans ton enfance, dans un univers meurtri par la Seconde Guerre Mondiale. Quelles sont à l'époque, les images qui sont restées gravées dans ta mémoire ?
Enki Bilal : En fait, je me rends compte que j'ai une mémoire très sélective, y compris pour tout ce qui concerne la vie quotidienne... Restent surtout gravées des sensations, des atmosphères, des odeurs. Ce qui s'impose à moi, curieusement, ce sont des images fortes des saisons, des saisons très marquées par des hivers très rigoureux, très enneigés. Je garde les souvenirs d'une ville, Belgrade, totalement recouverte de neige...
Bilal, le personnage
Sapristi : Extérieurement, tu apparais comme un personnage froid, solitaire et mystérieux... quels sont réellement tes traits de caractères principaux ?
E. B. : C'est assez délicat de parler de soi, il y a probablement un sentiment de distance à l'égard des autres, car je n'aime pas devoir m'imposer dans une foule. J'ai plutôt tendance à me refermer dans ces cas-là. Je suis plutôt un solitaire, un solitaire ouvert à 3-4 personnes, pas plus.
Autre passion : le sport
E. B. : J'ai hérité ça de mon père qui était un grand gymnaste...
p.15 : Actualité
Politique extérieure
S. : Le portfolio "Le Mur" est, à notre avis, l'un des plus beaux jamais réalisé. On y trouve le lien entre le futur et le passé, l'absurdité de la guerre et la beauté d'un monde renaissant...
E. B. : J'ai envie de dire qu'il y a une réponse rationnelle et une réponse irrationnelle. La chute du Mur, ça représentait quelque chose d'emblématique et de souhaitable. Sur le plan intellectuel, c'est l'élimination de ce que j'appelle un chancre en plein cœur de l'Europe, un chancre qui était le symbole de la guerre froide et du totalitarisme. Ça fait plaisir sur le moment, et presque simultanément, on a le sentiment désagréable que ce n'est peut-être pas aussi simple que cela...
La Yougoslavie
S. : Comment ressens-tu les événements en Yougoslavie en ce moment ? (NDR : en 1994, Sarajevo est assiégée par les Serbes qui seront plus tard condamnés pour crimes contre l'Humanité)
E. B. : Très mal. La Yougoslavie était un pays parfaitement bien placé géographiquement pour ne pas être si sauvagement planté. Bien mieuw que la Pologne ou les autres pays du Comecon, qui avaient des structures plus lourdes. Depuis la mort de Tito, la Yougoslavie s'était sérieusement occidentalisée et aurait pu entrer dans une communauté européenne élargie. Mais l'Europe n'était ni prête ni assez généreuse pour ça. La vraie première fausse note Européenne, c'est la Yougoslavie. Et c'est grave.
Medias
S. : Nous avions parlé avec Jean GIRAUD (NDR : MOëbius) de leurs bienfaits et de leurs méfaits, de l'info-intox. N'y a-t-il pas aujourd'hui une réelle banalisation de l'information ?
E. B. : Oui, banalisation par manque de hiérarchisation dans l'information. Il est grave de passer d'un massacre de 200.000 personnes à un concert à Bercy en une fraction de seconde et en images...
S. : Et dire qu'avant la fin même du siècle, nous aurons près de 200 chaînes de télévision. Cela va être infernal... on va zapper dans tous les sens.
E. B. : On finira par ne plus sortir de chez soi. On va se barricader et vivre dans des bunkers individuels et familiaux où l'on aura tout sous la main...
*
J'aurai bien voulu lire Jean Giraud avant 1994 sur l'info-intox des médias. La simple lecture de Langelot Agent secret indique que dans les années 1960, les médias (français et autres) intoxiquaient déjà largement la population, et je pense que cela a toujours été ainsi : les riches et les puissants n'ont jamais cessé de répandre des fausses rumeurs, de faire chanter leur louange, étouffer les scandales, attisaient les haines qui les arrangeaient : c'est le métier sans fard d'agent de propagande, qui n'a rien à voir avec la profession de journaliste ou d'éditorialiste systématiquement usurpées par les guignols de l'info dans les médias complètement inféodés à l'élite ultra-riche et aux dictatures qu'ils font et défont.
"Banalisation de l'information" ne veut rien dire, même en 1994. Banaliser l'information, c'est le fait de permettre l'accès à tous à l'information (la vraie), c'est le principe d'une démocratie car sans une information saine, impossible de voter à bon escient, impossible de diriger efficacement à n'importe quelle échelle de la société une entreprise, une famille etc. Impossible d'assurer la sécurité des siens, de son alimentation, de son quartier etc.
"Manque de hiérarchisation dans l'information" fait allusion à une constatation faites notamment par des internautes qui dénonçaient la manière dont les rédactions des journaux télévisés construisaient leur sommaire, d'une manière qui semblait spécialement tordue pour empêcher la mémorisation de l'actualité. Le procédé n'est pas particulier à la télévision et relève de procédés de manipulation qui sont appris dans les écoles des serviteurs de nos élites : on passe d'un massacre à un concert (et plus tard d'un massacre à un concert à autre chose) parce que ces rédactions utilisent ultra-violence (choquer avec des horreurs), panique (baratiner le plus vite possible, mélanger vérité et mensonge, pertinence et n'importe quoi) et La vie est belle (en anglais Sunny Side Up, regardez comme on mange bien, buuuuut, on est les meilleurs etc.) pour bloquer le raisonnement et le libre-arbitre du spectateur.
p. 19 : La bande-dessinée.
p.20 Généralités
S. : Penses-tu que la B.D après un âge d'or certain qui couvre la période 1978-1988 n'a été qu'un genre à la mode aujourd'hui démodé ? (NDR : ça s'appelle faire les questions et les réponses).
E. B. : Non, on ne peut pas ramener la Bande Dessinée à un simple phénomène de mode... Même si l'effet d'explosion a tendance à s'estomper.
S. : On a quand même l'impression qu'il y a eu un réel tassement...
E. B. : Il reste une base solide grâce à certains auteurs qui n'ont pas joué le jeu de la facilité...
NDR, et maintenant comparez avec l'explosion du roman et de la nouvelle de la Science-fiction (un genre dit "subversif") en France dans les années 1950-1970, celui du cinéma fantastique dans les années 1980 et celui du film de super-héros Disney Marvel puis les effondrements des années 1980 pour le roman, 1990 pour le cinéma fantastique puis de tous les studios hollywoodien depuis 2015 ou des jeux vidéo AAA des années 2022-2024.
p.24 : Le Fantastique, la Politique, la ville
S. : Quand on regarde les histoires sur lesquelles tu as travaillé seul ou avec Pierre Christin, on s'aperçoit que quelques thèmes dominent. Tout d'abord le fantastique...
(NDR, le Fantastique n'est pas un thème, c'est un genre littéraire donc artistique, qui embrasse un multitude de thèmes, autant que l'univers peut lui en fournir ; le genre fantastique suppose un récit mimant la réalité avec des éléments qui ne peuvent pas être réels au vu et au su du lecteur spectateur, même si l'auteur peut l'ignorer, en particulier quand il y a décalage dans le temps entre la date de création du récit et la perception de la réalité de l'époque)
E. B. : (Le fantastique) était un choix dès le départ, j'ai commencé par faire des histoires courtes pour PILOTE (NDR le magazine) (dans les années 1971-1972) qui étaient totalement inspirées de LOVECRAFT, ma grande fascination de lecture d'adolescence. LOVECRAFT était un grand pourvoyeur de frissons, et c'est le frisson qui fait dessiner...
p.37 : Le cinéma
p. 45: Bibliographie.
p. 71: Dernières nouvelles du front
Une rubrique effectivement dédiées aux collectionneurs d'affiches, d'ex-libris, d'objets publicitaires, tels une nouvelle collection de verres à Moutarde Amora Tintin etc. liés à la bd. Cependant...
p. 78 Les livres du trimestre
Là aussi rien n'est traité au fond, l'info n'existe que pour des collectionneurs fans de tel illustrateur.
Le monde de TINTIN (réédition, de Pol Vandromme aux éditions de la table ronde)
L'oeil du loup, (collection Pleine Lune chez Nathan.)
La guerre du feu (Rosny Ainé, Pleine Lune chez Nathan.
p. 80 Les fanzines
Reflets, le fanzine du club Bob Morane (chez René Fontaine)
Les rêveurs de Rune #4 (interview de Schuiten et Peeters)
p. 81 Divers et d'été
Catalogue J'ai lu 2ème trimestre 1994 illustré par Caza.
Publicités
p.2 (seconde de couverture) : La librarie de bande dessinée sur minitel, 3615 bdfil, toute la bd dans un fauteuil!. Commandez, offrez, consultez.
p.85 : une série d'encarts publicitaires pour des librairies :
Librairie des 15/20 à Troyes
Librairie des fragments à Caen
Librairie Bédélire à Bordeaux
Librairie et galerie fantastique Le Robec à Rouen.
Libraire Aladin à Nantes
Libraire Majuscule à Dieppe
Librairie Magne à Rouen.
Librairie Vitamine C à Reims.
P.86 LIste des librairies qui diffusent Sapristi et bulletin à découper pour accueillir un dépôt de numéros. Remise directe 35% et règlement à 60 jours.
p.87 (troisième de couverture) commande d'anciens numéros numéro 1 à 19, +21, 25, 26 épuisés.
Abonnement : 4 numéros 120F, portfolio 80F, tirage 120F (non abonnés 150F) +30F de port.
p.88 "Pourquoi ils nous ont choisi pour faire la pub à Canal +? Parce qu'on n'a pas des têtes à passer à la télé." sous-titre : Pendant qu'on regarde Canal+, au moins on n'est pas devant la télé (NDR : on est devant la télé, aka Double-Contrainte déguisé en trait d'humour).
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Ici la page du forum Philippe-Ebly.fr consacrée à ce numéro.
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