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- Écrit par David Sicé
She, A History Of Adventure (1886)
Traduction du titre original : Elle, un récit d'aventure.
Autres titres : La cité sous la montagne, la déesse de feu, la source de feu.
Sorti en Angleterre à partir du 2 octobre 1886 dans THE GRAPHIC UK.
Sorti en Angleterre en 1887 chez LONGMANS UK.
Sorti en France en 1898.
Sorti en France en 1920 chez L’ÉDITION FRANÇAISE ILLUSTRÉE FR (traduction de G. Labouchère, illustration de Quint).
Sorti en France en 1952 chez HACHETTE JEUNESSE FR (traduction de Jacques Hillermacher).
Sorti en France en 1969 chez MARABOUT FR (traduction de Michel Bernard)
Sorti en France en 2006 chez TERRE DE BRUMES (traduction deJacques Hillermacher et Cécile Desthuilliers)
De Henry Rider Haggard.
Résumé à venir.
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(texte original)
Chapter I: My Visitor
There are some events of which each circumstance and surrounding detail seems to be graven on the memory in such fashion that we cannot forget it, and so it is with the scene that I am about to describe. It rises as clearly before my mind at this moment as thought it had happened but yesterday.
It was in this very month something over twenty years ago that I, Ludwig Horace Holly, was sitting one night in my rooms at Cambridge, grinding away at some mathematical work, I forget what. I was to go up for my fellowship within a week, and was expected by my tutor and my college generally to distinguish myself. At last, wearied out, I flung my book down, and, going to the mantelpiece, took down a pipe and filled it. There was a candle burning on the mantelpiece, and a long, narrow glass at the back of it; and as I was in the act of lighting the pipe I caught sight of my own countenance in the glass, and paused to reflect. The lighted match burnt away till it scorched my fingers, forcing me to drop it; but still I stood and stared at myself in the glass, and reflected.
"Well," I said aloud, at last, "it is to be hoped that I shall be able to do something with the inside of my head, for I shall certainly never do anything by the help of the outside."
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(traduction de Michel Bernard)
CHAPITRE I
Un visiteur
IL est des événements dont chaque circonstance, chaque détail semblent si bien gravés dans la mémoire qu'on ne saurait les oublier...
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- Écrit par David Sicé
L'homme à l'oreille cassé, le roman de 1862.
De Edmond About.
Sorti en France en 1977 à l'école des loisirs, collection Renard Poche (texte abrégé).
Juin 1859. Léon Renault, le fils du professeur de Physique Chimie à la retraite Jean Renault est de retour à la maison. Il ramène des cadeaux pour tout le monde, parmi lesquels un objet qu'il croyait faire partie de la collection Humbolt et qui s'est avéré être une momie d'un colonel de l'armée de Napoléon, victime d'une expérimentation du professeur Jean Meiser de Dantzig. Ce professeur croyait pouvoir retirer l'eau du corps humain sans tuer la personne. Clémentine, la fiancée de Léon, persuade celui-ci de tenter de ranimer la momie, et contre toute attente, le Colonel Fougas se réveille, en pleine forme... mais ignorant tout de sa nouvelle époque.
Ici le texte intégral dans le domaine public.
Edmont About, édition abrégée au Renard Poche.
Le 18 mai 1859, M. Renault, ancien professeur de physique et de chimie, actuellement propriétaire à Fontainebleau et membre du conseil municipal de cette aimable petite ville, porta lui-même à la poste la lettre suivante :
"A monsieur Léon Renault, ingénieur civil, bureau restant, Berlin, Prusse.
"Mon cher enfant,
"Les bonnes nouvelles que tu as datées de Saint-Petersbourg nous ont causé la plus douce joie..."
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- Écrit par David Sicé
L'homme à la cervelle d'or (1860)
Autre titre : La légende de l'homme à la cervelle d'or.
Noter que cette nouvelle est dans le domaine public.
Sorti en France le 7 juillet 1860 dans Le Monde Illustré.
De Alphonse Daudet.
Noter que cette nouvelle existe en deux versions : original de 1860 publiée dans le journal le Monde illustré, révisée de 1869 incluse dans le recueil Les Lettres de mon moulin.
Pour adultes et adolescents.
Les parents d'un jeune garçon s'aperçoivent à la faveur d'une blessure que la cervelle de l'enfant est faite d'or...
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Le numéro complet du Monde Illustré du 7 juin 1860 est consultable sur le site de la BNF.
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(texte original de 1860)
I
Je suis né dans une petite ville de l’ancienne Souabe, chez le greffier au tribunal, un jour de soleil et de Pentecôte. Ma venue au monde fut accompagnée de quelques signes étranges qu’il est bon de raconter. Toute la famille étant réunie autour du lit de l’accouchée, mon oncle, l’inspecteur aux douanes, me prit délicatement entre ses doigts et m’apporta près de la fenêtre pour me contempler à son aise ; mais la pesanteur de mon petit être le surprit à ce point que le bonhomme effrayé me lâcha et que je m’en allai tomber lourdement sur le carreau, la tête la première. On me crut mort sur le coup, et vous pensez les cris qu’on en poussa ; le crâne d’un nouveau-né est quelque chose de si débile, le tissu en est si frêle, la pelure si délicate ; une aile de papillon glissant là-dessus peut causer les plus grands ravages ! O surprise ! Lé ténuité de mon crâne se ressentit à peine de cette terrible secousse, et ma tête, en touchant le sol, rendit un son métallique et connu de tous qui fit dresser vingt oreilles à la fois. On m’entoure, on me relève, on me palpe, et grande fut la stupeur, quand le docteur déclara que j’avais le sommet de la tête et la cervelle en or, à preuve un fragment qui s’était détaché dans ma chute, et qu’on reconnut être un morceau d’or très-pur et très-fin.
- Singulier enfant ! dit Monsieur le docteur en hochant la tête.
- Destiné à de grandes choses ! ajouta mon père hors de lui.
- Et qui doit valoir beaucoup d’argent, fit judicieusement observer mon oncle.
Avant de se séparer, on se promit le plus grand secret sur l’aventure : ce fut là la première pensée de ma mère, qui craignait que ma valeur une fois connue ne vint à tenter la cupidité de méchantes gens. J’étais, du reste, un enfant comme tous les autres, mangeant ou plutôt buvant bien, avec cela très-précoce et porteur d’allures drôlettes à dérider le front le plus sévère. Crainte d’accident, ma mère voulut me nourrir elle-même ! Je grandis donc dans notre vieille maison de la rue des Tanneurs, ne mettant presque jamais le nez dehors, toujours caressé, choyé, surveillé, talonné, n’osant faire un pas à moi seul de peur d’abîmer ma précieuse personne, et regardant tristement à travers les vitres mes petits voisins jouer aux osselets dans la rue et cabrioler à leur aise dans les ruisseaux. Comme vous pensez, on se garda bien de m’envoyer à l’école ; mon père fit venir à grands frais des maîtres à la maison, et j’acquis en peu de temps une instruction présentable. J’avouerai même que j’étais doué d’une intelligence qui surprenait les gens, et dont mes parents et moi nous avions seuls le secret. Qui n’eût été intelligent avec une cervelle riche comme la mienne ? Un jour ne se passait pas sans que chez nous on ne bénît le Ciel d’avoir fait un miracle en ma faveur et d’avoir honoré un enfant prodige l’humble demeure du greffier.
Ah ! faveur maudite ! exécrable présent ! ne pouviez-vous donc tomber sur la maison d’en face ?
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(version révisée de 1869 sous le titre "La légende de l'homme à la cervelle d'or")
En lisant votre lettre, madame, j’ai eu comme un remords. Je m’en suis voulu de la couleur un peu trop demi-deuil de mes historiettes, et je m’étais promis de vous offrir aujourd’hui quelque chose de joyeux, de follement joyeux.
Pourquoi serais-je triste, après tout ? Je vis à mille lieues des brouillards parisiens, sur une colline lumineuse, dans le pays des tambourins et du vin muscat. Autour de chez moi tout n’est que soleil et musique ; j’ai des orchestres de culs-blancs, des orphéons de mésanges ; le matin, les courlis qui font : « Coureli ! coureli ! » à midi, les cigales, puis les pâtres qui jouent du fifre, et les belles filles brunes qu’on entend rire dans les vignes… En vérité, l’endroit est mal choisi pour broyer du noir ; je devrais plutôt expédier aux dames des poèmes couleur de rose et des pleins paniers de contes galants.
Eh bien, non ! je suis encore trop près de Paris. Tous les jours, jusque dans mes pins, il m’envoie les éclaboussures de ses tristesses… À l’heure même où j’écris ces lignes, je viens d’apprendre la mort misérable du pauvre Charles Barbara ; et mon moulin en est tout en deuil. Adieu les courlis et les cigales ! Je n’ai plus le cœur à rien de gai… Voilà pourquoi, madame, au lieu du joli conte badin que je m’étais promis de vous faire, vous n’aurez encore aujourd’hui qu’une légende mélancolique.
Il était une fois un homme qui avait une cervelle d’or ; oui, madame, une cervelle toute en or. Lorsqu’il vint au monde, les médecins pensaient que cet enfant ne vivrait pas, tant sa tête était lourde et son crâne démesuré. Il vécut cependant et grandit au soleil comme un beau plant d’olivier ; seulement sa grosse tête l’entraînait toujours, et c’était pitié de le voir se cogner à tous les meubles en marchant… Il tombait souvent. Un jour, il roula du haut d’un perron et vint donner du front contre un degré de marbre, où son crâne sonna comme un lingot. On le crut mort ; mais, en le relevant, on ne lui trouva qu’une légère blessure, avec deux ou trois gouttelettes d’or caillées dans ses cheveux blonds. C’est ainsi que les parents apprirent que l’enfant avait une cervelle en or.
La chose fut tenue secrète ; le pauvre petit lui-même ne se douta de rien. De temps en temps, il demandait pourquoi on ne le laissait plus courir devant la porte avec les garçonnets de la rue.
— On vous volerait, mon beau trésor ! lui répondait sa mère…
Alors le petit avait grand’peur d’être volé ; il retournait jouer tout seul, sans rien dire, et se trimbalait lourdement d’une salle à l’autre…
À dix-huit ans seulement, ses parents lui révélèrent le don monstrueux qu’il tenait du destin ; et, comme ils l’avaient élevé et nourri jusque-là, ils lui demandèrent en retour un peu de son or. L’enfant n’hésita pas ; sur l’heure même, — comment ? par quels moyens ? la légende ne l’a pas dit, — il s’arracha du crâne un morceau d’or massif, un morceau gros comme une noix, qu’il jeta fièrement sur les genoux de sa mère… Puis tout ébloui des richesses qu’il portait dans la tête, fou de désirs, ivre de sa puissance, il quitta la maison paternelle et s’en alla par le monde en gaspillant son trésor...
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- Écrit par David Sicé
Moby Dick (1851)
Titre original : The Whale (la Baleine).
Sorti en Angleterre le 18 octobre 1851 chez Richard Bentley, aux USA le 14 novembre 1851 chez Harper & Brothers.
Traduit en français en 1928 par Marguerite Gay chez Gedalge.
De Herman Melville.
(presse) En décembre, Ishmael se rend de l'île de Manhattan à New Bedford, dans le Massachusetts, avec l'intention de s'engager dans un voyage de chasse à la baleine. L'auberge où il arrive est surpeuplée, il doit donc partager un lit avec Queequeg, un Polynésien cannibale et tatoué, un harponneur dont le père était roi de l'île fictive de Rokovoko. Le lendemain matin, Ishmael et Queequeg assistent au sermon du père Mapple sur Jonas, puis se rendent à Nantucket. Ismaël s'inscrit auprès des armateurs quakers Bildad et Peleg pour un voyage sur leur baleinier Pequod. Peleg décrit le capitaine Achab : "C'est un grand homme, impie, semblable à un dieu" qui a néanmoins "ses humanités". Ils engagent Queequeg le lendemain matin. Un homme nommé Elijah prophétise un sort funeste si Ismaël et Queequeg rejoignent Achab. Pendant que les provisions sont chargées, des silhouettes sombres montent à bord du navire. Par un froid jour de Noël, le Pequod quitte le port...
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Le roman est inspiré du naufrage du baleinier l’Essex en 1820, coulé par une baleine qui semblait au premier abord une proie facile. Les survivants sur des barques eurent recours au cannibalisme pour survivre et le drame fut détaillé par un survivant dans Narrative of the Most Extraordinary and Distressing Shipwreck of the Whale-Ship 1821 Essex. L’Essex était un navire déjà vieux de vingt ans et de ce fait était censé porter chance à son équipage.
Dix ans avant d’écrire son roman, Herman Merville s’était embarqué lui-même à bord du baleinier Acushnet, navire qui en était à son premier voyage : les détails de la vie à bord, de l’équipage multiculturel — sont donc de premières mains. Moby Dick raconte, de fait, une histoire vraie, ou plus exactement plusieurs mélangées, dont celle de la baleine blanche Mocha Dick, d’une taille et d’une férocité prodigieuse, qui s’était mise en tête de couler tous les baleiniers qu’elle rencontrait et dont l’un des cent combats fut raconté par Jeremiah N. Reynolds. Ou quand la réalité devient à ce point dantesque et inspirante qu’elle en parait fantastique.
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Le texte original de Herman Melville en 1851.
CHAPTER I.
LOOMINGS.
Call me Ishmael. Some years ago—never mind how long precisely—having little or no money in my purse, and nothing particular to interest me on shore, I thought I would sail about a little and see the watery part of the world. It is a way I have of driving off the spleen, and regulating the circulation. Whenever I find myself growing grim about the mouth; whenever it is a damp, drizzly November in my soul; whenever I find myself involuntarily pausing before coffin warehouses, and bringing up the rear of every funeral I meet; and especially whenever my hypos get such an upper hand of me, that it requires a strong moral principle to prevent me from deliberately stepping into the street, and methodically knocking people’s hats off—then, I account it high time to get to sea as soon as I can. This is my substitute for pistol and ball. With a philosophical flourish Cato throws himself upon his sword; I quietly take to the ship. There is nothing surprising in this. If they but knew it, almost all men in their degree, some time or other, cherish very nearly the same feelings towards the ocean with me.
There now is your insular city of the Manhattoes, belted round by wharves as Indian isles by coral reefs—commerce surrounds it with her surf. Right and left, the streets take you waterward. Its extreme down-town is the battery, where that noble mole is washed by waves, and cooled by breezes, which a few hours previous were out of sight of land. Look at the crowds of water-gazers there.
Circumambulate the city of a dreamy Sabbath afternoon. Go from Corlears Hook to Coenties Slip, and from thence, by Whitehall, northward. What do you see?—Posted like silent sentinels all around the town, stand thousands upon thousands of mortal men fixed in ocean reveries. Some leaning against the spiles; some seated upon the pier-heads; some looking over the bulwarks of ships from China; some high aloft in the rigging, as if striving to get a still better seaward peep. But these are all landsmen; of week days pent up in lath and plaster—tied to counters, nailed to benches, clinched to desks. How then is this? Are the green fields gone? What do they here?
But look! here come more crowds, pacing straight for the water, and seemingly bound for a dive. Strange! Nothing will content them but the extremest limit of the land; loitering under the shady lee of yonder warehouses will not suffice. No. They must get just as nigh the water as they possibly can without falling in. And there they stand—miles of them—leagues. Inlanders all, they come from lanes and alleys, streets and avenues—north, east, south, and west. Yet here they all unite. Tell me, does the magnetic virtue of the needles of the compasses of all those ships attract them thither?
Once more. Say, you are in the country; in some high land of lakes. Take almost any path you please, and ten to one it carries you down in a dale, and leaves you there by a pool in the stream. There is magic in it. Let the most absent-minded of men be plunged in his deepest reveries—stand that man on his legs, set his feet a-going, and he will infallibly lead you to water, if water there be in all that region. Should you ever be athirst in the great American desert, try this experiment, if your caravan happen to be supplied with a metaphysical professor. Yes, as every one knows, meditation and water are wedded for ever.
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Traduction au plus proche
CHAPITRE PREMIER.
IMMINENCES.
Appelez-moi Ishmael. Il y a quelques années — je ne me souviens plus depuis combien de temps exactement — n'ayant pas ou peu d'argent dans ma bourse, et rien de particulier pour m'intéresser à la côte, je pensais naviguer un peu et voir la partie aquatique du monde. C’est une manière que j’ai de chasser la mélancolie et de retrouver de l’énergie. Chaque fois que je me découvre les coins de la bouche qui tombent, chaque fois qu’un mois de novembre humide et bruineux s’installe dans mon âme, chaque fois que je me surprends à m'arrêter involontairement devant les magasins de cercueils et à fermer la marche de tous les enterrements que je rencontre, et surtout chaque fois que mes bas ont tellement le dessus sur moi qu'il faut un principe moral fort pour m'empêcher de sortir délibérément dans la rue et de cogner méthodiquement les gens en pleine face, alors je considère qu'il est grand temps de prendre la mer aussitôt que possible. C'est mon substitut au pistolet et à la balle dans la tempe. Dans un geste philosophique, Caton se jette sur son épée ; moi, je m'embarque tranquillement sur un navire. Il n'y a rien d'étonnant à cela. Si seulement ils le savaient, presque tous les hommes à leur degré, à un moment ou à un autre, éprouveraient presque les mêmes sentiments que moi à l'égard de l'océan.
Et voilà maintenant notre ville insulaire de Manhattan, entourée de quais comme les îles indiennes le sont de récifs coralliens — le commerce l'entoure de l’écume de ses vagues. A droite et à gauche, les rues vous mènent à l'eau. L'extrémité de la ville est le parc de la Batterie d’Artillerie, où ce noble môle est lessivé par les vagues et rafraîchi par des brises qui, quelques heures auparavant, ignoraient tout de la terre. Regardez donc les foules de scrutateurs des eaux qui s'y trouvent postés.
Faites donc le tour de la ville par un après-midi de sabbat rêveur. Allez des quais mal famés de Corlaer à la promenade des halages de Coenties, et de là, par Maison-Blanche, en direction du le nord. Que voyez-vous ? — Posés comme des sentinelles silencieuses tout autour de la ville, des milliers et des milliers de mortels plongés dans des rêveries océaniques. Certains sont adossés aux pilotis, d'autres sont assis sur le rebord du bout des quais, d'autres encore regardent par-dessus les bastingages des navires venus de Chine, d'autres enfin sont haut perchés dans les gréements, comme s'ils s'efforçaient d'avoir un aperçu plus vaste du lointain de la mer. Mais ceux-là sont tous des terriens, qui passent leurs semaine enfermés entre des lambris et du plâtre, ligotés à leurs comptoirs, cloués à leurs bancs, cramponnés à leurs bureaux. Mais comment expliquer ça ? Où sont passés les champs verdoyants ? Qu’ont-ils à faire plantés là ?
Mais regardez donc ! Voilà qu’arrivent d'autres foules marchant droit vers l'eau comme résolus à y plonger. Etrange ! Rien ne peut les satisfaire sinon d’arriver tout au bout de la terre ; flâner sous le vent à l’ombre de ces entrepôts ne leur suffira pas. Non. Ils doivent s'approcher le plus possible de l'eau au risque d’y tomber. Et les voilà qui se tiennent en rang debout, des kilomètres d’entre eux. Tous des terriens, ils arrivent des ruelles et des allées, des rues et des avenues, du nord, de l'est, du sud et de l'ouest. Et pourtant, ici, ils se retrouvent tous réunis. Dites-moi, est-ce le pouvoir magnétique des aiguilles des compas de tous ces navires qui les attire ici ?
Mais encore. Imaginez que vous soyez à la campagne, dans quelque haute terre de lacs. Prenez presque n'importe quel chemin, et dix contre un qu'il vous descendra dans un vallon, et vous laissera là près d'une mare remplie par un cours d’eau. Il y a de la magie là-dessous. Que le plus distrait des hommes soit plongé dans ses plus profondes rêveries, mettez-le sur ses pieds, faites-le marcher, et il vous conduira infailliblement à l'eau, si eau il y a dans toute cette région. Et si jamais il vous prenait d’avoir soif dans le grand désert américain, tentez cette expérience, si par hasard votre caravane comportait un professeur de métaphysique. Oui, comme tout le monde le sait, la méditation et l'eau sont mariées à jamais.
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La traduction française de Marguerite Gay de 1928 ?
CHAPITRE I
Mirage
Appelez-moi Ismaël. Voici quelques années — peu importe combien — le porte-monnaie vide ou presque, rien ne me retenant à terre, je songeai à naviguer un peu et à voir l’étendue liquide du globe. C’est une méthode à moi pour secouer la mélancolie et rajeunir le sang. Quand je sens s’abaisser le coin de mes lèvres, quand s’installe en mon âme le crachin d’un humide novembre, quand je me surprends à faire halte devant l’échoppe du fabricant de cercueils et à emboîter le pas à tout enterrement que je croise, et, plus particulièrement, lorsque mon hypocondrie me tient si fortement que je dois faire appel à tout mon sens moral pour me retenir de me ruer délibérément dans la rue, afin d’arracher systématiquement à tout un chacun son chapeau… alors, j’estime qu’il est grand temps pour moi de prendre la mer. Cela me tient lieu de balle et de pistolet. Caton se lance contre son épée avec un panache philosophique, moi, je m’embarque tranquillement ; Il n’y a là rien de surprenant. S’ils en étaient conscients, presque tous les hommes ont, une fois ou l’autre, nourri, à leur manière, envers l’Océan, des sentiments pareils aux miens.
Voyez votre cité sur l’île de Manhattan, ceinturée de quais comme les récifs de corail entourent les îles des mers du sud, et que le commerce bat de toutes parts son ressac. A droite et à gauche ses rues mènent à la mer. La Batterie forme l’extrême pointe de la ville basse, dont le noble môle est balayé par les vagues et les vents frais encore éloignés de la terre quelques heures auparavant. Voyez, se réunir là, la foule des badauds de la mer !
Flânez dans la ville par une rêveuse après-midi de Sabbat. Allez de Corlears Hook à Coenties Slip, de là poussez au nord par Whitehall. Que voyez-vous ? Sentinelles silencieuses, plantées partout dans la ville, des milliers et des milliers d’hommes sont figés dans des songes océaniques. Les uns sont adossés aux pilotis, les autres assis au bout des digues, certains se penchent vers les pavois des navires de la Chine, d’autres, comme pour mieux contempler la mer, se sont hissés les gréements. Mais tous sont des terriens, cloîtrés toute la semaine entre des cloisons de bois ou de plâtre… rivés à des comptoirs, cloués à des bancs, courbés sur des bureaux. Comment cela se fait-il ? Les vertes prairies ont-elles disparues ? Que font-ils là ?
Mais voyez ! voici que des foules nouvelles arrivent, fonçant droit vers l’eau, destinées, semble-t-il, à un plongeon. Etrange ! Rien en paraît devoir les satisfaire hormis l’ultime limite de la terre, une halte dans l’ombre abritée des entrepôts ne leur suffit pas. Non, il leur faut s’approcher de l’eau d’aussi près qu’ils le peuvent sans y tomber. Et ils sont là, échelonnés sur des milles, sur des lieues. Tous venus, de l’intérieur des terres, par les sentiers et les allées, les rues et les avenues, du nord, de l’est, du sud et de l’ouest. Ils se sont tous agglutinés là, pourtant. Dites-moi, le pouvoir magnétique des aiguilles de tous ces compas marins les a-t-il attirés d’aussi loin ?
Et encore. Imaginez que vous êtes à la campagne, dans quelque haute région de lacs. Prenez le chemin qu’il vous plaira, n’importe lequel, neuf fois sur dix, il vous amènera au fond d’un vallon, près d’une flaque abandonnée par un ruisseau. C’est de la magie ! Prenez le plus distrait des hommes, absorbé dans la plus profonde des rêveries, dressez-le sur ses jambes, incitez-le à poser un pied devant l’autre, et il vous conduira infailliblement vers l’eau, pour autant qu’il y en ait dans la région. Viendriez-vous à mourir de soif dans le grand désert américain, tentez l’expérience si un professeur de métaphysique fait partie de votre caravane. Certes, chacun le sait, l’eau et la méditation vont de pair à jamais.
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