Galaxy, le numéro de novembre 1954Feu vert livre / BD

How-2 (1954)

Sorti dans Galaxy Science Fiction en novembre 1954.
Traduit en français en avril 1955 dans Galaxy Science-fiction sous le titre Plus besoin d’hommes.
Traduit en avril 1974 sous le titre Brikol’âge par Micheline Legras-Wechsler pour Le Livre de Poche dans La Grande Anthologie de la Science-fiction : Histoires de Robots, réédité en février 1975, février 1976, août 1978, octobre 1993.

De Clifford D. Simak.

Pour adultes et adolescents.

(Prospective, robot, satire) Gordon Knight est un inconditionnel des kits How-2 qui permettent à n’importe qui capable de suivre à la lettre le manuel d’instruction de construire quelque chose ou de rendre un service pour un moindre prix, avec en bonus le fait d’occuper le temps libre considérable que les citoyens du futur doivent gérer. Mais alors qu’il se sent assez entraîné pour assembler un chien biologique en kit, Chevalier reçoit une boite apparemment mal étiqueté d’un modèle plus grand. Le défi d’assembler quelque chose de surprenant le tente, et, comme Chevallier suit les instructions à la lettre jusqu’au bout, il se retrouve avec à son service un robot expérimental multitâche dévoué et attachant.…

***

Le texte original de Clifford D. Simak pour le magazine Galaxy, dans le numéro 48 de novembre 1954.

HOW-2

Are you lonesome? Bored? Then do as Knight
did—acquire a hobby of some kind—but make
sure that your hobby does not acquire you!


Gordon Knight was anxious for the five-hour day to end so he could rush home. For this was the day he should receive the How-2 Kit he’d ordered and he was anxious to get to work on it.
It wasn’t only that he had always wanted a dog, although that was more than half of it—but, with this kit, he would be trying something new. He’d never handled any How-2 Kit with biologic components and he was considerably excited. Although, of course, the dog would be biologic only to a limited degree and some of it would be packaged, anyhow, and all he’d have to do would be assemble it. But it was something new and he wanted to get started.
He was thinking of the dog so hard that he was mildly irritated when Randall Stewart, returning from one of his numerous trips to the water fountain, stopped at his desk to give him a progress report on home dentistry.
“It’s easy;” Stewart told him. “Nothing to it if you follow the instructions. Here, look — I did this one last night.”
He then squatted down beside Knight’s desk and opened his mouth, proudly pulling it out of shape with his fingers so Knight could see.
“Thish un ere,” said Stewart, blindly attempting to point, with a wildly waggling finger, at the tooth in question.
He let his face snape back together.
“Filled it myself,” he announced complacently. “Rigged up a series of mirrors to see what I was doing. They came right in the kit, so all I had to do was follow the instructions.”
He reached a finger deep inside his mouth and probed tenderly at his handiwork. “A little awkward, working on yourself. On someone else, of course, there’d be nothing to it.”
He waited hopefully.
“Must be interesting,” said Knight.
“Economical, too. No use paying the dentists the prices they ask. Figure I’ll practice on myself and then take on the family. Some of my friends, even, if they want me to.”
He regarded Knight intently.
Knight failed to rise to the dangling bait.
Stewart gave up. “I’m going to try cleaning next. You got to dig down beneath the gums and break loose the tartar.

 
***

La traduction au plus proche.

PRO-C

Vous vous sentez seul ? lassé ? Alors faites
comme Chevalier a fait — faites-vous cadeau d’un passe-temps
d’un genre quelconque — mais veillez alors à que ce passe-temps
ne fasse pas de vous son propre cadeau!


Georges Chevalier avait hâte que sa journée de cinq heures finisse pour pouvoir se dépêcher de rentrer chez lui. Car, c'était le jour où il devait recevoir le kit Pro-C qu'il avait commandé, et il avait hâte de se mettre au travail.
Ce n'était pas seulement parce qu'il avait toujours voulu un chien, bien que cela comptait pour plus de la moitié, mais parce qu'avec ce kit, il allait essayer quelque chose de nouveau. Il n'avait jamais eu à gérer un kit Pro-C contenant des éléments biologiques, et il en était considérablement excité. Bien sûr, le chien ne serait biologique qu’à un degré limité et une partie serait déjà assemblée, de toute façon, et tout ce qu'il aurait à faire serait de l'assembler. Mais c'était quelque chose de nouveau et il voulait se lancer.
Il pensait tellement à ce chien qu'il s’en trouva légèrement irrité alors que Randolph Portier, revenant d'une de ses nombreuses visites à la fontaine à eau, s'arrêta à son bureau pour lui faire un rapport sur ses progrès en matière de soins dentaires à domicile.
— C'est facile, lui disait Portier. Il suffit de suivre les instructions. Tiens, regarde : j'ai fait celle-là hier soir.
Il s'est ensuite accroupi à côté du bureau de Chevalier et a ouvert la bouche, l’étirant fièrement avec ses doigts pour que Chevalier puisse voir.
— Chelle-là, là, disait Portier, essayant de pointer à à l’aveugle d’un doigt tremblotant la dent en question.
Puis il laissa son visage reprendre ses traits d’origine.
— Je l’ai plombée moi-même, il annonça complaisamment. J'ai monté une série de miroirs pour voir ce que je faisais. Ils étaient fournis dans le kit, alors tout ce que j’avais à faire, c’était des uivre les instructions."
Il introduisit un doigt profondément dans sa bouche et sonda tendrement son ouvrage.
— C'est un peu embarrassant de travailler sur soi-même. Sur quelqu'un d'autre, bien sûr, ça ne serait rien du tout.
Il attendit avec espoir.
— Cela doit être intéressant, répondit Chevalier.
— Et économique aussi. Plus besoin de payer le genre de prix que demandent les dentistes. Je me suis dit que je pratiquerais d’abord sur moi et après je m’occuperais de ma famille. Et peut-être même de certains de mes amis, s’ils me le demandent.
Et de regarder Chevalier intensément.
Chevalier ne daigna pas mordre à l'hameçon.
Portier abandonna.
— Je vais m’essayer ensuite au détartrage. Il faut creuser sous les gencives et enlever le tartre. Il y a une sorte de crochet avec lequel on fait ça. Il n'y a pas de raison qu'un homme ne s'occupe pas lui-même de ses dents au lieu de payer un dentiste.
— Ça ne m’a pas l'air trop difficile, admit Chevalier.

***
Galaxie, le numéro d'avril 1955

La traduction anonyme (approximative et non intégrale) pour Galaxie Science-fiction #17 d’avril 1955.

PLUS BESOIN D’HOMMES

Cherchez vous un remède contre la solitude ou l’ennui ? Faites comme Gordon Knight, offrez une pâture à votre activité.

PLUS BESOIN D’HOMMES

Cherchez vous un remède contre la solitude ou l’ennui ? Faites comme Gordon Knight, offrez une pâture à votre activité.

Gordon Knight était impatient d’achever ses cinq heures quotidiennes de bureau. Chez lui l’attendait la trousse Rob-2 qu’il avait commandée : il lui tardait de se mettre au travail.
Il avait toujours voulu un chien, mais ce n’était pas la seule raison de son exaltation. Cette trousse lui ouvrait des horizons nouveaux ; l’idée de travailler sur des éléments biologiques le passionnait. Evidemment, le chien ne serait pas absolument vivant. C’était tout de même une expérience excitante.
Lorsque Randall Stewart, au retour d’une de ses nombreuses stations au bar, s’arrêta devant son bureau pour lui confier ses impressions de dentiste amateur, Gordon s’impatienta.
— Rien de plus simple, commença Stewart, si l’on suit les instructions à la lettre. Tiens, regarde ! Je me suis soigné cette dent hier au soir.
— La voilà ! dit Stewart, pointant un doigt vers un coin de sa mâchoire.
« J’ai fait le plombage moi-même : il m’a fallu monter tout un échafaudage de miroirs pour voir ce que je faisais. Mais tout se trouve dans la trousse….
— Intéressant ! répondit Gordon, croyant se débarrasser du gêneur.
— Et économique ! Je vais m’essayer au nettoyage, maintenant On est obligé d’enfoncer l’instrument sous la gencive pour décoller le tartre. On se sert d’une sorte de crochet. Je ne vois vraiment pas pourquoi on ne s’occupe pas soi-même de ses dents… Il faut seulement suivre les instructions. Quand on le suit, on peut faire n’importe quoi !
Il a raison, pensa Gordon. On peut vraiment tout faire en suivant scrupuleusement les instructions ; à condition de ne pas se précipiter…

***

La Grande Anthologie de la Science-fiction: Histoires de robots (édition 1974) La Grande Anthologie de la Science-fiction: Histoires de robots (édition 1993)

La traduction de Micheline Legras-Wechsler pour Le Livre de Poche en 1974. Avec les erreurs de traduction d’origine.

BRIKOL’AGE

I


Gordon Knight attendait avec impatience que s’achèvent ses cinq heures quotidiennes de bureau pour pouvoir se précipiter chez lui. C’était aujourd’hui qu’il devait receboir le coffret Brikol qu’il avait commandé, et il lui tardait de se mettre au travail.
Il avait toujours désiré un chien, c’est vrai, mais il y avait autre chose : ce coffret lui ouvrait des horizons nouveaux. Il n’avait jamais eu entre les mains de coffret Brikol comprenant des éléments biologiques, et il se sentait très ému. Evidemment, ce ne serait pas tout à fait un chien biologique et, de toute façon, il serait déjà en partie monté ; il ne lui resterait plus qu’à assembler les pièces. Mais c’était une nouvelle expérience et il avait hâte de commencer.
L’idée de ce chien l’obsédait tellement qu’il ressentit un léger agacement lorsque Randall Stuart, qui s’était une fois de plus absenté pour aller boire à la fontaine, s’arrêta au retour devant son bureau pour lui vanter ses progrès de dentiste amateur.
« C’est facile, lui déclara Stuart. Rien de plus simple, si l’on suit les instructions à la lettre. Tiens, regarde ! Je me suis soigné celle-là hier soir ! »
Il s’accroupit alors près du bureau de Knight et ouvrit sa bouche avec fierté, se la déformant presque à force de tirer avec ses doigts pour que Knight pût voir.
« Celle-là », dit Stewart, essayant sans succès d’indiquer la fameuse dent d’un doigt hésitant et fébrile.
Il laissa son visage reprendre son aspect normal.
« J’ai fait le plombage moi-même, annonça-t-il avec suffisance, il m’a fallu monter tout un échaffaudage de miroirs pour voir ce que je faisais. Mais tout se trouvait dans le coffret ; je n’ai eu qu’à suivre le mode d’emploi. »
Il s’enfonça un doigt profondément dans la bouche pour palper délicatement son ouvrage. « Ça fait une drôle d’impression, de le faire soi-même. Sur quelqu’un d’autre, bien sûr, ce n’est pas pareil. »
Il attendait sans se décourager.
« Ça doit être intéressant, dit Knight.
— Et économique ! Pas la peine de payer si cher les dentistes. Rends-toi compte un peu si je me soigne tout seul, et puis ensuite ma famille. Et puis aussi des amis, pourquoi pas, s’ils en ont envie. »
Il regarda Knight avec insistance.
Knight ne mordit pas l’hameçon.
Stewart n’insista pas davantage. « Je vais m’essayer au nettoyage, maintenant. On est obligé d’enfoncer l’instrument sous la gencive pour décrocher le tartre. On se sert d’une sorte de crochet. Je ne vois vraiment pas pourquoi on ne s’occupe pas soi-même de ses dents, au lieu de payer des dentistes.
— Cela n’a pas trop l’air difficile, reconnut Knight.

***

TThe Magazine Of Science-Fiction & Fantasy, le numéro d'août 1954Feu vert livre / BD

Fondly Fahrenheit (1954)

Publié pour la première fois aux USA dans The Magazine of Fantasy and Science Fiction, d’août 1954 ;
Traduit en français pour le numéro 24 de la revue Fiction de novembre 1955,
Repris dans la Grande Anthologie de la Science-fiction : Histoire de Robots le 16 avril 1974 chez Le Livre de poche ;
Réédité le 11 juin 1974, le 26 février 1975, puis en 1976 et en 1978 ; réédité en février 1985, puis en octobre 1993.
Réédition partielle en 1996.

De Alfred Bester.

Pour adultes et adolescents

Vandaleur est en cavale et fuit de planète en planète. Ce riche propriétaire a tout quitté, tout, sauf son androïde, son bien le plus précieux, et surtout son gagne-pain car Vandaleur n’a jamais travaillé de sa vie…

***

Notez que vous pouvez lire en ligne et télécharger gratuitement le numéro entier du Magazine of Fantasy and Science-fiction d’août 1954.

***

Si vous ne devez acheter qu’un seul volume de la Grande Anthologie de la Science-fiction, choisissez Histoires de Robots, la première ou la seconde édition, pas la version allégée sortie plus tard. Parmi plusieurs nouvelles simplement magistrales et très inspirantes, Fondly Fahrenheit d’Alfred Bester est un sommet absolu de la Science-fiction, du polar et de pure épouvante, basé sur un phénomène bien réel absolument glaçant. Malheureusement, le titre français est un gros spoiler, vous me permettrez donc de ne pas le citer et de vous laisser découvrir sous la traduction exacte du titre original, les deux premières scènes. La nouvelle a été adaptée en théâtre radiophonique, disponible en ligne, mais j’ignore la fidélité de l’adaptation, ainsi qu’en « théâtre télévisé », paraît-il réussi, mais je n’ai pu juger sur pièce à cette heure. Ici : le .mp3 de adaptation en théâtre radiophonique de 1976 (CBS Radio Mystery Theater #0484 – The Walking Dead, adapté par A. Bester)

***

Le texte original de Alfred Bester.

FONDLY FAHRENHEIT

He doesn’t know which of us I am these days, but they know one truth. You must own nothing but yourself. You must make your own life, live your own life and die your own death...or else you will die another’s.

The rice fields on Paragon III stretch for hundreds of miles like checkerboard tundras, a blue and brown mosaic under a burning sky of orange. In the evening, clouds whip like smoke, and the paddies rustle and murmur.

A long line of men marched across the paddies the evening we escaped from Paragon III. They were silent, armed, intent; a long rank of silhouetted statues looming against the smoking sky. Each man carried a gun. Each man wore a walkie-talkie belt pack, the speaker button in his ear, the microphone bug clipped to his throat, the glowing view-screen strapped to his wrist like a green-eyed watch. The multitude of screens showed nothing but a multitude of individual paths through the paddies. The annunciators made no sound but the rustle and splash of steps. The men spoke infrequently, in heavy grunts, all speaking to all.

"Nothing here. — Where’s here? — Jenson’s fields. — You’re drifting too far west. — Close in the line there. — Anybody covered the Grimson paddy? — Yeah. Nothing. — She couldn’t have walked this far. — Could have been carried. — Think she’s alive? — Why should she be dead?"

The slow refrain swept up and down the long line of beaters advancing toward the smoky sunset. The line of beaters wavered like a writhing snake, but never ceased its remorseless advance. One hundred men spaced fifty feet apart. Five thousand feet of ominous search. One mile of angry determination stretching from east to west across a compass of heat. Evening fell. Each man lit his search lamp. The writhing snake was transformed into a necklace of wavering diamonds.

"Clear here. Nothing. — Nothing here. — Nothing. — What about the Allen paddies? — Covering them now. — Think we missed her? — Maybe. — We’ll beat back and check. — This’ll be an all-night job. — Allen paddies clear. — God damn! We’ve got to find her! — We’ll find her. — Here she is. Sector seven. Tune in."

The line stopped. The diamonds froze in the heat. There was silence. Each man gazed into the glowing green screen on his wrist, tuning to sector seven. All tuned to one. All showed a small nude figure awash in the muddy water of a paddy. Alongside the figure an owner’s stake of bronze read: VANDALEUR. The ends of the line converged toward the Vandaleur field. The necklace turned into a cluster of stars. One hundred men gathered around a small nude body, a child dead in a rice paddy. There was no water in her mouth. There were fingermarks on her throat. Her innocent face was battered. Her body was torn. Clotted blood on her skin was crusted and hard.

"Dead three-four hours at least. — Her mouth is dry. — She wasn’t drowned. Beaten to death.”

In the dark evening heat the men swore softly. They picked up the body. One stopped the others and pointed to the child’s fingernails. She had fought her murderer. Under the nails were particles of flesh and bright drops of scarlet blood, still liquid, still uncoagulated.

"That blood ought to be clotted too. — Funny. — Not so funny. What kind of blood don’t clot? — Android. — Looks like she was killed by one. — Vandaleur owns an android. — She couldn’t be killed by an android. — That’s android blood under her nails. — The police better check. — The police’ll prove I’m right. — But androids can’t kill. — That’s android blood, ain’t it? — Androids can’t kill. They’re made that way. — Looks like one android was made wrong. — Jesus!"

And the thermometer that day registered 92.9° gloriously Fahrenheit.

***

Traduction au plus proche

TENDREMENT PAR DEGRÉS

Il ne sait pas lequel d'entre nous je suis ces jours-ci, mais ils savent une vérité. Il ne faut rien devoir sinon à vous-même. Il faut gagner sa propre vie, vivre sa propre vie et mourir de sa propre mort... ou bien on mourra de la mort d'un autre.

Les rizières de Paragon III s'étendent sur des centaines de kilomètres comme des toundras en damier, une mosaïque bleue et brune sous un ciel orange brûlant. Le soir, les nuages se tordent comme de la fumée, et les rizières bruissent et murmurent.

Une longue ligne d'hommes traversa les rizières le soir où nous nous échappâmes de Paragon III. Ils étaient silencieux, armés, déterminés ; un long rang de silhouettes découpées, se détachant contre le ciel fumant. Chaque homme portait une arme. Chaque homme portait un talkie-walkie à la ceinture, le haut-parleur bouton dans l'oreille, le micro fixé à la gorge, l'écran lumineux sanglé au poignet comme une montre aux yeux verts. La multitude d'écrans ne montrait rien d'autre qu'une multitude de trajectoires individuels à travers les rizières. Les volontaires ne faisaient aucun son, si ce n'est le bruissement de leur passage et les éclaboussures de leurs pas. Les hommes parlaient peu, avec des grosses voix, tous parlant à tous.

« Rien ici. — Où c’est, ici ? — Les champs de Jenson. — Vous vous déportez trop vers l'ouest. — Près de la ligne, là. — Quelqu'un a couvert la rizière de Grimson ? — Oui. Rien. — Elle n'a pas pu marcher aussi loin. — Elle a pu être portée. — Tu crois qu'elle est vivante ? — Pourquoi serait-elle morte ?"

Le lent refrain balayait dans un sens puis dans l’autre la longue file des marcheurs avançant vers le coucher de soleil enfumé. La ligne de marcheurs ondulait comme un serpent qui se tortille, mais ne cessait jamais son avance sans remords. Cent hommes espacés de quinze mètres. Mille cinq cent mètres de recherche sinistre. Mille cinq cent mètres de détermination furieuse s'étendant d'est en ouest à travers une boussole de chaleur. Le soir tombait. Chaque homme alluma sa lampe de recherche. Le serpent se transforma en un collier de diamants ondulants.

"Rien à signaler ici. Rien. — Rien ici. - Rien. — Et les rizières d'Allen ? — On les recouvre maintenant. - Tu crois qu'on l'a manquée ? — Peut-être. - On va revenir et vérifier. —- On va y passer la nuit. — Les rizières d'Allen sont dégagées. - Bon sang ! Il faut qu'on la trouve ! — On va la trouver. - Elle est là. Secteur sept. Branchez-vous."

La ligne s'est arrêtée. Les diamants ont gelé dans la chaleur. Le silence s'est installé. Chaque homme a regardé l'écran vert lumineux à son poignet, se syntonisant sur le secteur sept. Tous se sont branchés sur le secteur 1. Tous montraient une petite silhouette nue baignant dans l'eau boueuse d'une rizière. A côté de la figure, un piquet de bronze indique le propriétaire : VANDALEUR. Les extrémités de la ligne convergeaient vers le champ Vandaleur. Le collier se transforma en une grappe d'étoiles. Cent hommes se sont rassemblés autour d'un petit corps nu, un enfant mort dans une rizière. Il n'y avait pas d'eau dans sa bouche. Il y avait des marques de doigts sur sa gorge. Son visage innocent était meurtri. Son corps était déchiré. Le sang coagulé sur sa peau était incrusté et dur.

"Morte depuis au moins trois ou quatre heures. - Sa bouche est sèche. - Elle n'a pas été noyée. Battue à mort."

Dans la chaleur sombre du soir, les hommes ont juré doucement. Ils ont ramassé le corps. L'un d'eux a arrêté les autres et a montré les ongles de l'enfant. Elle s'était battue contre son meurtrier. Sous les ongles, il y avait des particules de chair et des gouttes de sang écarlate, encore liquide, non coagulé.

"Ce sang devrait aussi être coagulé. — Drôle. — Pas si drôle. Quel genre de sang ne coagule pas ? — Un androïde. — On dirait qu'elle a été tuée par un. — Vandaleur possède un androïde. — Elle n'a pas pu être tuée par un androïde. — C'est du sang d'androïde sous ses ongles. — La police devrait vérifier. — La police prouvera que j'ai raison. — Mais les androïdes ne peuvent pas tuer. — C'est du sang d'androïde, n'est-ce pas ? — Les androïdes ne peuvent pas tuer. Ils sont faits comme ça. — On dirait qu'un androïde a été mal fait. — Jésus !"

Et le thermomètre affichait ce jour-là 92,9° glorieux Fahrenheit.

***

Fiction, le numéro 24 de novembre 1955La Grande Anthologie de la Science-fiction: Histoire de Robots, l'édition de 1974La Grande Anthologie de la Science-fiction: Histoire de Robots, l'édition de 1993

La traduction anonyme de 1972 pour Opta et Le Livre de Poche

(LE TITRE FRANÇAIS EST UN SPOILER)

MAINTENANT il ne sait pas qui de nous deux je suis réellement : moi ou lui. Mais lui ou moi savons une chose. Nous savons qu’on ne peut être à la fois deux personnes. Il faut vivre sa propre vie — ou bien en vivre une étrangère.

Il y avait les rizières s’étirant à perte de vue ; sur Paragon III, le soir où nous nous en sommes enfuis. Mosaïques en damiers bleue et brune, pendant le jour, sous le feu du ciel orange. Avec le soir, les nuages précipitent leurs fumées, le vent se lève, le riz dans sa balle bruit et murmure.
Le vent du soir soufflait sur Paragon III, à l’heure de notre fuite, et les nuages défaisaient leurs fumées dans le ciel. Et quelque part au milieu des rizières bruissantes, parmi le murmure du riz dans sa balle, marchaient des hommes en ligne, debout contre l’horizon jaune…

La vaste rangée d’hommes avançait lentement entre les sillons des rizières. Silencieux, aux aguets, en armes. Un chapelet de silhouettes grises profilées comme des statues sur le ciel fumeux. Chacun tenait son arme à la main. Chacun portait à sa ceinture un émetteur-récepteur, l’écouteur fixé à l’oreille, le micro pendu au cou, et un télécran portatif assujetti au poignet, telle une grosse montre lumineuse verte. Les multiples images des télécrans en enfilades ne révélaient rien d’autre que les multiples sillons parallèles. Les amplificateurs ne retransmettaient que les clapotements produits par les pas simultanés. Les hommes parlaient à de rares intervalles, d’une voix lourde, chacun s’adressant à tous les autres.

« Rien par ici.
— Par ici où ?
— Le champ de Jenson.
— Trop dévié vers l’ouest.
— Serrez par là.
— Vu la limite du champ de Grimson ?
— Oui. Rien.
— Elle n’aurait pas pu s’écarter autant.
— Elle pouvait être transportée.
— Vous pensez qu’elle est vivante ?
— Pourquoi serait-elle morte ? »

***

Je suis une légende, le roman de 1954Feu vert livre / BD

I am legend (1957)
Traduction du titre : Je suis légende.
Titre français : je suis une légende.

Sorti aux USA en juillet 1954 chez Gold Medal Books US (poche).
Traduit en 1955 par Claude Elsen pour DENOEL FR (poche, numéro 10), réédité en 1958,1969, 1972, 1973 (illustré par Jean-Martin Bontoux), février 1977, 1979, 1981, avril 1983, novembre 1987, avril 1990, mai 1991, avril 1993, mars 1995, mars 1998, février 1999.
Traduit par Nathalie Serval en avril 2001 pour GALLIMARD FOLIO SF FR, réédité octobre 2003, juillet 2004 (FRANCE-LOISIR) décembre 2007, janvier 2008, juin 2009, 2 avril 2010, septembre 2019.
Compilé dans Légendes de la nuit, 6 novembre 2003 DENOEL LUNE D'ENCRE FR.
Compilé en omnibus, décembre 2013 FRANCE LOISIR FR.
Compilé Par delà la légende, 9 octobre 2014, GALLIMARD FOLIO SF FR.

Adapté en film The Last Man On Earth en 1964 (Je suis une légende), avec Vincent Price.
Adapté en film The Omega Man 1972 (Le survivant), avec Charlton Heston.
Adapté en film I Am Legend 2007 (Je suis une légende), avec Will Smith.

De Richard Matheson.

Pour adultes et adolescents.

En 1976 à Los Angeles, après une guerre mondiale apocalyptique, Robert Neville se barricade nuit après nuit après une épidémie dont les survivants sont désormais des vampires repoussés par l'ail et les crucifix, imperméables aux balles...

***

Le texte original de Richard Matheson de 1954 pour GOLD METAL US.

Chapter One

ON THOSE CLOUDY DAYS, Robert Neville was never sure when sunset came, and sometimes they were in the streets before he could get back.

If he had been more analytical, he might have calculated the approximate time of their arrival; but he still used the lifetime habit of judging nightfall by the sky, and on cloudy days that method didn't work. That was why he chose to stay near the house on those days.

He walked around the house in the dull gray of afternoon, a cigarette dangling from the corner of his mouth, trailing threadlike smoke over his shoulder. He checked each window to see if any of the boards had been loosened. After violent attacks, the planks were often split or partially pried off, and he had to replace them completely; a job he hated. Today only one plank was loose. Isn't that amazing? he thought.

In the back yard he checked the hothouse and the water tank. Sometimes the structure around the tank might be weakened or its rain catchers bent or broken off. Sometimes they would lob rocks over the high fence around the hothouse, and occasionally they would tear through the overhead net and he'd have to replace panes.

Both the tank and the hothouse were undamaged today. He went to the house for a hammer and nails. As he pushed open the front door, he looked at the distorted reflection of himself in the cracked mirror he'd fastened to the door a month ago. In a few days, jagged pieces of the silverbacked glass would start to fall off. Let' em fall, he thought. It was the last damned mirror he'd put there; it wasn't worth it. He'd put garlic there instead. Garlic always worked.

He passed slowly through the dim silence of the living room, turned left into the small hallway, and left again into his bedroom.

Once the room had been warmly decorated, but that was in another time. Now it was a room entirely functional, and since Neville's bed and bureau took up so little space, he had converted one side of the room into a shop.

A long bench covered almost an entire wall, on its hardwood top a heavy band saw; a wood lathe, an emery wheel, and a vise. Above it, on the wall, were haphazard racks of the tools that Robert Neville used.
He took a hammer from the bench and picked out a few nails from one of the disordered bins. Then he went back outside and nailed the plank fast to the shutter. The unused nails he threw into the rubble next door.

For a while he stood on the front lawn looking up and down the silent length of Cimarron Street. He was a tall man, thirtysix, born of EnglishGerman stock, his features undistinguished except for the long, determined mouth and the bright blue of his eyes, which moved now over the charred ruins of the houses on each side of his. He'd burned them down to prevent them from jumping on his roof from the adjacent ones.

After a few minutes he took a long, slow breath and went back into the house. He tossed the hammer on the livingroom couch, then lit another cigarette and had his midmorning drink.

Later he forced himself into the kitchen to grind up the fiveday accumulation of garbage in the sink. He knew he should burn up the paper plates and utensils too, and dust the furniture and wash out the sinks and the bathtub and toilet, and change the sheets and pillowcase on his bed; but he didn't feel like it.

For he was a man and he was alone and these things had no importance to him.

It was almost noon. Robert Neville was in his hothouse collecting a basketful of garlic.

In the beginning it had made him sick to smell garlic in such quantity his stomach had been in a state of constant turmoil. Now the smell was in his house and in his clothes, and sometimes he thought it was even in his flesh.

He hardly noticed it at all.

*

La traduction au plus proche.

Chapitre Un

Ces jours nuageux, Robert Neville n'était jamais sûr de quand viendrait le coucher du Soleil, et parfois ils étaient dans les rues avant qu'il puisse être de retour.

S'il avait eu un peu plus d'esprit d'analyse, il aurait pu calculer l'heure approximative de leur arrivée ; mais il utilisait encore cette habitude d'une vie de juger de la tombée de la nuit en fonction du ciel, et les jours nuageux, cette méthode ne fonctionnait pas. C'était pourquoi il avait choisi de rester près de la maison ces derniers jours.

Il marchait autour de la maison dans le gris terne de l'après-midi, une cigarette pendouillant du coin de sa bouche, laissant échapper comme un fil de fumée par-dessus son épaule. Il scrutait chaque fenêtre pour voir si les planches avaient été déclouée. Après les attaques violentes, les planches étaient souvent cassées ou en partie arrachée, et il devait les remplacer complètement; un boulot qu'il détestait. Ce jour-là, il n'y avait qu'une planche de perdue. N'est-ce pas étonnant ? il pensa.

Dans l'arrière-court, il vérifia la serre et la citerne. Parfois la structure autour de la citerne pouvait être fragilisée ou les gouttières tordues ou cassées. Parfois ils envoyaient des pierres par-dessus la haute clôture autour de la serre, et à l'occasion elles déchireraient le filet au-dessus et il lui faudrait remplacer des carreaux.

La citerne comme la serre étaient intact ce jour-là. Il alla chercher dans la maison un marteau et des clous. Comme il ouvrait en la poussant la porte d'entrée de devant, il vit son propre reflet distordu dans le miroir craquelé qu'il avait fixé à la porte un mois auparavant. D'ici quelques jours, les pièces acérées du verre argenté commenceraient à tomber. Qu'ils tombent, il pensa. Ce serait le dernier maudit miroir qu'il mettrait là ; cela n'en valait pas la peine. Il mettrait plutôt de l'ail à la place. L'ail, ça marchait toujours.

Il traversa lentement le silence ténu du salon, tourna à gauche dans le petit couloir, et à gauche à nouveau pour arriver à sa chambre à coucher.

Autrefois, la pièce avait été décorée chaleureusement, mais c'était une autre époque. Désormais, c'était une pièce entièrement fonctionnelle, et puisque le lit de Neville et son bureau prenaient si peu de place, il avait convertit un côté de la pièce en atelier de menuiserie.

Un long établi occupait presque un mur entier, et sur sa table en bois dur, une lourde scie à ruban; un tour à bois, une roue à poncer et un étau. Au mur, surplombaient un râtelier chargé au hasard des outils dont Robert Neville se servait. Il prit un marteau sur l'établi et piocha quelques clous dans l'un des casiers sans ordre. Puis il retourna dehors et cloua la planche contre le volet. Les clous inutilisés, il les jeta dans le tas d'à côté.

Un temps il resta debout sur la pelouse de devant à inspecter de haut en bas la rue de Cimarron sur toute sa longueur silencieuse. Il était un homme de haute taille, trente-six ans, d'origine anglo-germanique, ses traits sans caractéristiques particulières sinon les lèvres minces, aux plis déterminés et le bleu clair de ses yeux, qui s'étaient à présent portés sur les ruines calcinés des maisons qui flanquaient la sienne. Il les avait brûlées pour empêcher qu'ils ne sautent sur son toit depuis les toits voisins.

Après quelques minutes, il prit une longue, lente inspiration et repartit dans la maison. Il jeta le marteau sur le canapé du salon, puis s'alluma une autre cigarette, et prit son verre d'alcool de la mi-matinée.

Plus tard, il se força à aller dans la cuisine pour raboter le tas de vaisselle accumulée dans l'évier. Il savait qu'il aurait dû brûler les assiettes en papier et les ustensiles jetables aussi, et épousseter les meubles et laver les éviers et la baignoire et la cuvette des toilettes, et changer les draps et l'oreiller de son lit ; mais il ne se sentait pas de le faire.

Car il était un homme et il était seul et ces choses ne comptaient pas pour lui.

Il était presque midi. Robert Neville était dans sa serre à cueillir un panier plein de gousses d'ail.

Au début, ça le rendait malade sentir l'ail en de telles quantités, et son estomac se trouvait constamment agité. Désormais, l'odeur était dans sa maison et dans ses vêtements, et parfois il pensait qu'elle était même dans sa chair.

C'est à peine s'il la remarquait désormais.

*

Je suis une légende, le roman de 1954Je suis une légende, le roman de 1954Je suis une légende, le roman de 1954Je suis une légende, le roman de 1954Je suis une légende, le roman de 1954Je suis une légende, le roman de 1954Je suis une légende, le roman de 1954Je suis une légende, le roman de 1954

La traduction de Claude Elsen de 1955 pour DENOEL FR.

PREMIERE PARTIE

JANVIER 1976

Lorsque le ciel — comme c'était le cas ces jours-ci — était nuageux, Robert Neville ne se rendait pas toujours compte de l'approche du soir, et parfois ils auraient pu envahir les rues avant qu'il ne fût rentré
chez lui.

S'il avait eu l'esprit plus précis, il aurait pu calculer approximativement le moment de leur arrivée ; mais il avait gardé la vieille habitude de s'en remettre à la couleur du ciel. Par temps couvert, cette méthode
n'était pas sûre et c'est pourquoi, ces jours-là, il préférait ne pas s'éloigner de sa demeure...

Il fit le tour de la maison, une cigarette collée au coin de la bouche, et examina chaque fenêtre pour s'assurer qu'aucune planche ne manquait : après certains assauts particulièrement violents, il arrivait que
plusieurs fussent fendues ou à demi arrachées. Il lui fallait alors les remplacer, et il détestait cela. Aujourd'hui, une seule manquait. « Curieux », pensa-t-il...

Dans la cour, derrière la maison, il inspecta la serre et le réservoir d'eau. Il craignait toujours qu'ils ne s'attaquent au réservoir ou ne brisent à coups de pierre les vitres de la serre, auquel cas il devrait aussi
les remplacer. Mais l'un et l'autre étaient intacts.

Il rentra dans la maison pour prendre un marteau et des clous. Comme il ouvrait la porte d'entrée, il jeta un regard à sa propre image dans le miroir lézardé qu'il y avait fixé un mois plus tôt. Quelques
jours encore et ses morceaux tomberaient tout seuls. « Eh bien, qu'ils tombent... » se dit-il. C'était le dernier miroir qu'il mettrait là. Son effet était nul. A sa place, il mettrait de l'ail. L'ail agissait toujours...

Il traversa lentement le living-room silencieux, tourna à gauche dans le petit corridor et entra dans la chambre à coucher. Jadis cette chambre était décorée avec soin — mais c'était en un autre temps. A présent, ce n'était plus qu'une pièce utilitaire, et le lit et le bureau de Neville y tenaient si peu de place qu'il en avait fait également son atelier. Un établi de bois dur occupait presque toute la longueur d'un des murs, portant une lourde scie à ruban, un tour à bois et une meule. Les autres outils dont se servait Neville étaient accrochés au mur, à un râtelier de fortune.

Il prit un marteau, arracha quelques clous à une vieille caisse et ressortit pour réparer la planche endommagée de la fenêtre.

Cela fait, il s'immobilisa un instant devant la maison et laissa son regard parcourir Cimarron Street dans toute sa longueur. La rue était parfaitement silencieuse. De chaque côté de sa demeure s'entassaient les ruines carbonisées des maisons voisines, qu'il avait brûlées pour les empêcher de sauter de leur toit sur celui de sa propre maison... Puis, il aspira une longue bouffée d'air et rentra chez lui.

Il jeta le marteau sur le divan du living-room, alluma une autre cigarette et but un coup. Un peu plus tard, il se résolut à gagner la cuisine pour y mettre un peu d'ordre. Il savait qu'il aurait dû brûler
les assiettes de carton, enlever la poussière qui s'accumulait, nettoyer l'évier, le tub, les toilettes, changer les draps de son lit, mais il n'en avait pas le courage,
parce qu'il était un homme, qu'il était seul, et que ces choses n'avaient plus d'importance pour lui...

Il était près de midi.

A présent, Neville était dans la serre, et il remplissait un panier d'ail. Au début, l'odeur de l'ail le rendait malade, mais maintenant qu'elle avait envahi la maison, qu'elle imprégnait ses vêtements et même
sa chair, lui semblait-il, il n'y prêtait plus attention.

*

Je suis une légende, le roman de 1954Je suis une légende, le roman de 1954Je suis une légende, le roman de 1954Je suis une légende, le roman de 1954Je suis une légende, le roman de 1954Je suis une légende, le roman de 1954Je suis une légende, le roman de 1954

La traduction de Nathalie Serval d'avril 2001 pour GALLIMARD FR.

PREMIERE PARTIE

Janvier 1976

Par temps couvert, Robert Neville se laissait parfois surprendre par la tombée de la nuit ; ils se répandaient alors dans les rues avant qu’il fût rentré.

Un esprit plus analytique aurait pu calculer l’heure approximative de leur arrivée, mais Neville avait gardé l’habitude de s’en remettre à l’aspect du ciel, une méthode que les nuages rendaient inopérante. En conséquence, il préférait ne pas s’éloigner de chez lui ces jours-là.

Il fit le tour de la maison dans la grisaille de l’après-midi, une cigarette au coin des lèvres, traînant derrière lui un mince cordon de fumée. Il inspecta chaque fenêtre, vérifiant qu’aucune planche ne branlait. Les assauts les plus violents les laissaient souvent fendues ou en partie arrachées. Il fallait alors les changer, un travail qu’il détestait. Ce jour-là, une seule avait du jeu. Étonnant, pensa-t-il.

Dans l’arrière-cour, il contrôla la serre et la citerne. Parfois il devait consolider cette dernière, redresser ou réparer ses capteurs d’eau de pluie. Parfois, les pierres qu’ils lançaient au-dessus de la palissade entourant la serre déchiraient le filet protecteur et il lui fallait remplacer les vitres cassées.

Cette fois, ni la serre ni la citerne n’avaient souffert.

Il se dirigea vers la maison pour y cherher un mareat et des clous. En poussant la porte, il vit son image déformée dans la glace fêlée qu’il avait fixée à l’extérieur un mois plus tôt. D’ici quelques jours, les éclats étamés tomberaient d’eux-mêmes ? Eh bien, qu’ils tombent. C’était la dernière fois qu’il fichait un miroir à cet endroit. A quoi bon… A la place, il accrocherait de l’ail. L’ai était toujours efficace, lui.
Il traversa lentement la pénombre du séjour, emprunta le minuscule couloir et tourna à gauche vers sa chambre.

A une époque, celle-ci offrait un cadre chaleureux, mais les temps avaient changé. A présent, elle était purement fonctionnelle : le lit et la commode y tenaient si peu de place que Neville y avait installé son atelier.
Un établi en bois occupait presque tout un mur. Dessus se trouvaient une scie à ruban, un tour à bois, une meule et un étau. Les autres outils dont il se servait étaient accrochés au mur, à des râteliers de fortune.
Il prit un marteau sur l’établi, piocha quelques clous dans un casier. Puis il ressortit et répara le volet en un tournemain. Il balança les clous en trop parmi les gravats de la maison voisine.

Il s’attarda un moment sur la pelouse devant la maison, parcourant du regard l’étendue silencieuse de Cimarron Street. Agé de trente-six ans, d’une taille élevée, Neville était un mélange d’ascendances anglaise et germanique. Ses traits n’avaient rien de remarquable, excepté la bouche, allongée et volontaire, et des yeux d’un bleu vif, qui pour l’heure inspectaient les ruines calcinées des deux maisons encadrant la sienne. Il le avait lui-même incendiées, pour les empêcher de passer par les toits.

Au bout de quelques minutes, il prit une longue inspiration et rentra. Il jeta le marteau sur le canapé du séjour, alluma une autre cigarette et but lepremier verre de la journée.

Plus tard, il se résolut à gagner la cuisine et à broyer les ordures qui s’amoncelaient dans l’évier depuis cinq jours. Pour bien faire, il aurait également dû brûler les assiettes en carton, épousseter les meubles, décrasser l’évier, la baignoire et les toilettes, changer les draps du lit, mais il n’en eut pas le courage.

Parce qu’il était un homme, qu’il était seul et que rien de tout ça n’avait d’importance pour lui.

Il était près de midi. Robert Nevile se trouvaient dans la serre, occupé à remplir son panier d’ail.

Au tout début, l’odeur d’ail à forte dose lui avait retourné l’estomac. Maintenant qu’elle imprégnait sa maison, ses vêtements et même sa peau, lui semblait-il, il n’y prêtait plus guère attention.

***

Ici la page du forum Philippe-Ebly.fr consacrée à ce roman.

***

La guerre des soucoupes, le roman de 1954 Feu orange livre / BD

Ici la page Amazon.fr de La Guerre des soucoupes  

La guerre des soucoupes (1954)
Les soucoupes 2

Noter que ce roman est la suite de S.O.S Soucoupe (1954)

Sorti en France en 1954 chez FLEUVE NOIR (collection ANTICIPATION, couverture de René Brantonne)

De B. R. Bruss (René Bonnefoy).

Une famille de scientifiques russes est temporairement assignée à résidence après qu'une de leur parente soit prétendument passé à l'Ouest. Puis ils sont libérés - elle était seulement en mission secrète. A peine sont-ils de retour à Moscou qu'un déluge de feu s'abat sur la ville - et ce n'est pas un bombardement en traître des américains !

***

(texte original)

CHAPITRE PREMIER

On crut ce jour-là, dans le monde entier, qu'une guerre effroyable venait d'éclater. C'était bien une guerre, et même une guerre fantastique, mais point celle que l'on pensait.

Le 9 janvier 1965 tout avait été calme à Moscou.

Cette nuit-là, Olga Kerounine s'était couchée tard.

Elle venait tout juste de rentrer à Moscou avec son père, après une disgrâce qui avait duré plusieurs semaines, et elle pensait que c'en était fini pour elle de vivre dans les émotions.

Les émotions avaient commencé un moins plus tôt au Bureau Central des Recherches Scientifiques, et alors qu'elle bavardait paisiblement avec son père, le professeur Kerounine - l'un des savants les plus estimés de Moscou - chez qui elle vivait, on avait frappé à leur porte. C'était la police. Un grand gaillard roux lui dit fort poliment :

- Je suis au regret de vous déranger, Olga Kerounine. Mais j'ai un mandat s'arrêt contre vous. J'en ai aussi un contre votre père. Voulez-vous le prévenir. Je vous donne dix minutes pour préparer vos valises dans lesquelles vous pourrez mettre les choses que vous jugez indispensables.

- Mais pour quelle raison ?... s'écria Olga, en proie à la plus profonde stupeur.

- Je n'en sais rien mois-même, fit le grand gaillard. Alors il est parfaitement inutile de discuter avec moi.

A la police, Olga et son père avaient appris que l'on n'avait aucune charge particulière contre eux. Leur arrestation, leur dit-on, était une simple mesure de précaution motivée par le fait que la soeur d'Olga, fille aînée du professeur, Vera Kerounine, avait fui la Russie soviétique en emportant, disait-on, des secrets atomiques.

***